RENÉ JUST HAÜY (1743-1822)

PREMIER CONSERVATEUR DES COLLECTIONS DE
L'ÉCOLE DES MINES - QUELQUES REPERES

Alfred LACROIX, parlant de la Minéralogie et de la Cristallographie, dit à son propos:
"Nulle science n'a autant été l'oeuvre d'un seul homme".

D'un milieu modeste, toujours fidèle à sa foi catholique, l'abbé René Just Haüy, né le 28 février 1743 à Saint Just en Chaussée, traversa les périodes troublées de la Révolution, de l'Empire et de la Restauration. Il est le fils de Just Haüy, tisserand, et de Madeleine CANDELOT. Son petit frère, Valentin Haüy, acquit une réputation exceptionnelle en s'occupant de faire lire les aveugles.

A partir du moment où, conquis par les cours de DAUBENTON, René-Just HAÜY découvrit la minéralogie, il suivit toujours la même idée: comprendre l'architecture du monde minéral et la structure interne des cristaux.

En plein 18ème siècle, époque des grandes découvertes de la Nature, le jeune René Just fut influencé par un religieux de Saint-Just en Chaussée, puis par son collègue LHOMOND au collège de Navarre.
Intéressé aux domaines de la Botanique, - constituant un herbier de près de 2000 plantes -, il se dirigea vers la Minéralogie pour laquelle son esprit curieux s'inquiéta aussitôt:

"Comment la même pierre, le même sel, la même terre peuvent se présenter en cubes, en prismes ou en aiguilles, alors que la rose a toujours les mêmes pétales, l'arbre les mêmes fruits, et le blé les mêmes caryopses ?."

Jean-Baptiste Louis ROMÉ de L'ISLE, ancien officier de Marine, puis Michelet d'ENNERY, venaient de faire progresser la Science des Cristaux en découvrant que l'angle formé par deux faces adjacentes d'un Cristal, quelque soit leur développement, reste constant .
C'est la fameuse loi de la Constance des Angles déjà pressentie par plusieurs savants du siècle précédent, notamment le danois Niels STENSON, connu sous son nom latin de Nicolaus STENON (ou STENO).
Cet esprit universel jeta les bases de le Paléontologie moderne et de la Stratigraphie. Il publia en 1669 les coupes transversales d'un cristal de quartz montrant distinctement un angle constant pour des faces variables.

L'anglais BOYLE dès 1673, le néerlandais van LEUWENHOEK, inventeur du microscope et le russe LOMONOSSOV, qui effectua en 1749 les premières mesures d'angles sur des cristaux de Salpêtre, ont découvert que les faces de croissance des cristaux se déplaçaient parallèlement à elles-mêmes, dans des directions déterminées.

Bien que Romé de L'Isle n'ait pas eu connaissance des travaux antérieurs de Sténon, parce que lisant des traductions incomplètes qui omettaient tout ce qui était relatif aux cristaux de quartz, tous les minéralogistes s'accordent aujourd'hui à porter à son crédit la découverte de cette loi fondamentale, qu'il retrouva entièrement et démontra par des mesures instrumentales précises.

Georges Balthazar SAGE, fondateur de l'École Royale des Mines installée à l'Hôtel de la Monnaie, guida Romé de L'Isle vers la Cristallographie.

Romé, autodidacte de génie s'entoura de collaborateurs efficaces dont Arnould CARANGEOT qui mesura les angles des faces des cristaux et SWEBACH-DESFONTAINES, sculpteur qui confectionna des modèles en terre cuite à partir des données de son collègue.

ICI Carangeot fabriqua des gabarits de référence sous forme de plaquettes échancrées d'angles connus, destinés à une application directe sur les arêtes des cristaux.

D'abord découpés dans du carton de cartes à jouer, ces gabarits furent ensuite remplacés par des lames de cuivre.
Certains angles étaient simples à mesurer: quatre-vingt-dix degrés pour le cube, soixante degrés pour le prisme hexagonal.
D'autres angles, beaucoup plus nombreux, s'expriment en minutes et secondes. Ils ne permettaient aux gabarits rigides que des mesures par approximations successives.

Carangeot eut alors l'idée de mesurer les angles à l'aide d'un repporteur comportant une alidade mobile: c'est le goniomètre d'application qui permit rapidement de vérifier la loi fondamentale de Romé de L'Isle.

L'application de cette loi conduisit à l'élaboration des premières collections de modèles cristallographiques composées de quatre-cent quarante-huit cristaux de référence en terre cuite.

Cette notion de modèles fut reprise par tous les minéralogistes.
Si les lois de la symétrie étaient implicites dans leurs constructions, il faudra néanmoins attendre une vingtaine d'années pour comprendre la logique des opérateurs de symétrie, puis que des allemands, et notamment HESSEL, regroupent les cristaux en sept systèmes cristallins.

Un cristal de calcite se clive en petites unités qui ont la même forme que le cristal initial.
Cette division doit avoir un terme: l'unité insécable, défini ainsi par Haüy:

"Je m'arrête à un terme et je donne à ses corpuscules, que nous isolerions si nos organes et nos instruments étaient assez délicats, le nom de molécules constituantes".

Haüy a d'abord pensé que chaque minéral avait sa propre molécule constituante: un rhomboèdre pour la calcite.
L'empilement de plusieurs molécules constituantes reconstitue les cristaux naturels.
Mais en étudiant de nombreux exemples, il découvrit que toutes les molécules constituantes se limitaient à 6 types, chacun d'eux étant appelé primitif, qu'il désigna par les lettres P.M.T..
Ces primitifs: parallélépipèdes, dodécaèdres à faces rhombes ou à faces triangulaires isocèles, prisme hexagonal, octaèdre et tétraèdre, pouvalent se réduire par le calcul à 3 types de molécules constituantes, qu'il appela alors intégrantes, éléments de base de toute la matière cristallisée.

La Trigonométrie permet de calculer les angles interfaciaux à partir de l'empilement géométrique des molécules intégrantes: la C r i s t a l l o g r a p h i e scientifique était née.

Sous Louis XVI, le Jardin des Plantes dirigé par BUFFON, était au coeur de toutes les préoccupations scientifiques de l'époque, et René Just Haüy, ordonné prêtre en 1770, modeste régent de seconde au Collège Cardinal LEMOINE, s'intéressait aux sciences de l'observation.

Un jour, Haüy qui s'était d'abord tourné vers la Botanique, vit la foule se presser au cours de DAUBENTON, démonstrateur des collections d'Histoire Naturelle au Cabinet du Jardin des Plantes. Il entra et fut immédiatement conquis.
Retrouvant son goût pour la Physique et les Mathématiques, Haüy développa ses théories sur la Minéralogie scientifique.
L'Abbé alla exposer plus tard ses résultats à Daubenton. Comprenant séance tenante l'importance des déductions d'Haüy, Daubenton en fit part au géomètre LAPLACE.

Les grands savants du Siècle des Lumières encouragèrent Haüy à communiquer ses travaux à l'Académie des Sciences. Mais, pour le bon abbé, l'Académie semblait un milieu bien effrayant.
Il n'accepta de s'y présenter qu'après de multiples sollicitations.
Le 10 janvier 1781, Haüy présentait un mémoire sur les grenats suivi d'autres travaux sur la structure des cristaux.

Le retentissement fut si grand que les académiciens s'empressèrent de le recevoir parmi eux, sans même attendre qu'une place de Physique ou de Minéralogie soit vacante.
Parce qu'un fauteuil de botaniste était libre, Haüy pu être élu le 12 février 1783, soutenu par les Physiciens et les Mathématiciens, au détriment de Botanistes tels DESFONTAINES et TESSIER.

Le Roi le nomma Académicien 3 jours plus tard.

Haüy siégea toujours aux séances et devint très vite un membre influent de cette Institution. Il débordait d'activité.

Il s'intéressa non seulement à la structure des cristaux, mais aussi aux propriétés magnétiques, sur la magnétite par exemple,
aux compositions chimiques et aux propriétés physiques des minéraux, ainsi qu' à leurs propriétés électriques.

1784: Haüy venait d'atteindre les vingt années d'exercice qui suffisent alors à obtenir la modeste pension de Professeur Emérite. De ce fait, il put enfin se consacrer exclusivement à la Science qu'il venait de créer.

Lorsqu'Antoine-Laurent LAVOISIER, directeur de l'Académie des Sciences obtint du Roi une réforme de cette Société Savante, Haüy put abandonner la section botanique pour passer dans une classe nouvelle d'Histoire Naturelle et de Minéralogie.

Vinrent brutalement les jours troublés de la Révolution. Le 10 Août 1792, le Trône est renversé.
Refusant de prêter serment à la Nouvelle Constitution Civile du Clergé, le prêtre réfractaire est en grand danger.

Son humble demeure fut investie la même semaine. Haüy et tous les ecclésiastiques de l'Université sont arrêtés et conduits au Séminaire Saint-Firmin, transformé en prison.

Geoffroy SAINT-HILAIRE et DAUBENTON se précipitent à son secours en faisant intervenir l'Académie auprès de la Section Populaire du Jardin des Plantes .
Le lendemain, une faveur est accordée, Geoffroy se hâte vers St-Firmin.
Mais Haüy ne voulut abandonner ni ses minéraux mis à sa disposition durant son incarcération, ni ses compagnons d'infortune.
Il ne se décida à recouvrer sa liberté qu'après les fêtes religieuses du 15 Août.

Sans perdre un jour, Haüy reprit ses travaux cristallographiques avec une parfaite sérénité. Arrêté une seconde fois il sera libéré grâce à l'intervention de Lavoisier, qui, lui, devait être moins heureux quelques temps après.

Le 8 août 1793, la Convention Nationale supprime toutes les Académies Royales. Haüy est nommé Secrétaire de la Commission des Poids et Mesures qui devait imposer le Système Métrique, d'abord à la France, puis au reste du Monde (enfin, presque, les Anglais mirent un certain temps à être convaincus).

Depuis plus de deux ans, il élaborait les bases d'un Système où il retrouvait l'esprit rationnel des troncatures cristallines et travaillait avec Lavoisier à la définition du décilitre.

A l'incarcération de Lavoisier en tant que fermier général, Haüy et Borda adressèrent une demande de grâce auprès du Comité de Sûreté Générale. Malgré la portée scientifique de ses travaux, Lavoisier fut exécuté.

La tourmente révolutionnaire relança l'intérêt pour les minéraux qui sont les sources des matières premières indispensables au développement industriel et à l'effort de guerre.

Désormais, pour qu'un minéral soit défini, il faut associer à sa structure cristalline sa composition chimique: SiO2 pour le Quartz, FeS2 pour la Pyrite, etc...

Les minéraux étant la source des éléments indispensables à l'homme, la seconde moitié du XVIIIème siècle vit la création de l'École Royale des Mines dans les locaux de l'Hôtel de la Monnaie à Paris, le 19 mars 1783.

Sous la direction de SAGE, on y formait des ingénieurs des Mines chargés de trouver et d'exploiter les Minéraux utiles.
Le Comité Révolutionnaire de Salut Public, dans son souci de vaincre le blocus imposé par les puissances européennes, accorda une importance particulière à la recherche minière et créa l'Agence et le Corps des Mines.

Un arrêté du 12 juillet 1794 donna à l'Agence, pour ses bureaux et dépendances, l'Hôtel de Périgord proche de l'Hôtel de Mouchy, où s'installa l'École des Mines.

Les grands Scientifiques de l'époque entrèrent au Corps des Mines: Par exemple, Vauquelin ou Faujas de Saint-fond. Haüy fut nommé le 15 Vendémiaire de l'An II (6 octobre 1795) premier Conservateur des collections.

Haüy y apportait un enseignement à base scientifique qui s'appuyait sur la chimie nouvelle de Lavoisier et sur les analyses de Vauquelin.

Ses cours couvraient aussi bien la Minéralogie que la Cristallographie. Donnés régulièrement jusqu'en 1802, ils eurent un succès immédiat qui dépassa les frontières et attirèrent de nombreux élèves étrangers: russes, polonais et surtout américains.

En 1801, il publia son Traité de Minéralogie, somme de toutes les connaissances cristallographiques et minéralogiques de l'époque qui comporte la description détaillée de milliers d'échantillons soigneusement rassemblés dans le Cabinet dont il avait la charge.

Son autorité était universelle: il détermina tous les spécimens rassemblés alors par les nombreux amateurs et collectionneurs de minéraux, hériters des Cabinets de Curiosité du XVIIIème siècle.

Les collections de l'École des Mines, récoltées par les élèves et les Ingénieurs, devinrent considérables. Elles furent rassemblées dans le cadre de leurs études et surtout au cours de leurs prospections ultérieures dans le monde entier.

D'autres minéraux sont regroupés par les voies les plus diverses:

En octobre 1795, Haüy se vit remettre la précieuse collection de Romé de L'Isle, achetée par Gillet de LAUMONT, Directeur de l'Agence des Mines.

Il la conserva dans sa propre chambre et ne cessa d'en vérifier les mesures, utilisant nombre de ces minéraux dans son propre Traité. A la Mort de Gillet de Laumont, en 1835, cette collection fut transférée au Muséum sans respect de l'étiquetage original.

Dans ses écrits, Haüy rendit hommage à Romé de L'Isle, qui l'avait pourtant violemment critiqué à ses débuts en le traitant de "cristalloclastë. Cependant, il fit toutes ses mesures d'angles avec le goniomètre d'application, popularisé par Romé de L'Isle, mais en refusant obstinément, jusqu'à sa mort, d'utiliser des goniomètres optiques plus précis, développés par les savants anglais, notamment WOLLASTON.
A la fin du 18ème siècle, la Minéralogie est très proche de la Physique. BONAPARTE, alors premier Consul, estimait beaucoup Haüy et le protégeait.
Il le chargea de rédiger l'ouvrage de base sur l'Enseignement de la Physique dans les Lycées.

Le 5 avril 1802, Napoléon nomma Haüy Chanoine Honoraire de Notre-Dame de Paris. Mais à la même époque, il transféra l'École des Mines dans les Alpes, ce qui mit fin aux rapports entre HAÜY et l'École des Mines de Paris. Il quitta l'École en 1802 pour aller occuper, après Dolomieu, la chaire de minéralogie du Muséum où il professa jusqu'à sa mort; il était également professeur à la faculté des sciences, Il fut remplacé dans chacune de ses chaires par Brongniart et Beudant, et à l'Académie des sciences par Cordier.

Les deux tomes du Traité de Physique d'Haüy remportèrent un grand succès. La première édition, en 1803, fut suivie d'un second tirage en 1806, puis d'un troisième en 1825.

Le Traité fut adopté par le Conseil Royal de l'Instruction Publique sous la Restauration. Pendant les Cent Jours, Napoléon confiera à son auteur:
"Monsieur HAÜY, j'avais emporté votre Physique à l'île d'Elbe et l'ai relue avec le plus grand intérêt."

En récompense de ses mérites, HAÜY figura parmi les premiers récipiendaires de l'Ordre de la Légion d'Honneur, nommé Officier dès sa création le 28 novembre 1803.

Un aspect essentiel de l'oeuvre d'Haüy concerne ses conceptions de la notion d'espèce minérale. Vers la fin de sa vie, cela l'entraînera dans de violentes controverses avec ses collègues chimistes.

Pour l'éminent savant, un minéral était défini par une structure: la molécule intégrante, et une composition chimique donnée.

Haüy unifia ainsi des espèces alors considérées différentes telles que le Béryl et l'Emeraude, ou à séparer des groupes considérés comme variétés de la même espèce telles que les Zéolites.

L'observation de minéraux de même structure, mais de composition différente, le conduisirent à soupçonner un remplacement des éléments chimiques d'une espèce donnée par d'autres composants: ce qu'il dénomma -à juste titre- par épigénie ou pseudomorphose.

Mais, à l'inverse, ceci l'empêcha de percevoir la notion de solution solide, minéral pour lequel les constituants peuvent être en proportion variable ; il s'est ainsi opposé à BERTHOLLET et surtout à MITSCHERLICH dont il n'accepta jamais le concept de l'isomorphisme.
Chacun des protagonistes persista sur ses positions. En théorie, Haüy adhéra toujours à son idée de "composition constantë. En pratique, Haüy utilisa surtout la définition géométrique de l'espèce, expliquant les variations de composition par des mélanges inaccessibles à l'observation.

Haüy ne s'est pas limité à l'étude des cristaux bien formés. Il s'est aussi intéressé aux roches, ces agrégats de cristaux aux formes généralement mal définies.

Parmi les nombreux termes pétrographiques encore en usage de nos jours qu'Haüy a donnés, tels que Pegmatite: roche de composition granitique, mosaïque de minéraux de très grande taille ou Eclogite, constituée exclusivement de grenats et de pyroxènes.
Bien d'autres termes qui forment la base de la classification systématique des roches lui sont dus.

Cuvier, dans son éloge historique (Éloges historiques, t. III) a dit de lui : « Haüy est à Werner et à Romé de l'Isle ce que Newton a été à Kepler et à Copernic ».