LA MINERALOGIE MODERNE (MINERALOGIE DU XXème Siècle): PRINCIPES ET METHODES
Introduction
Les débuts de la Minéralogie moderne, depuis la fin du XVIIIème siècle jusque vers le milieu du XXème
La Minéralogie aujourd'hui
Quelques résultats marquants (Inclusions fluides)
Quel futur pour la Minéralogie?
Introduction
Née au XVIIIème siècle, la minéralogie reste une science trés actuelle et, avec l'essor des techniques modernes, son champ d'application recouvre des domaines extrèmement variés. Sans doute, les espèces minéralogiques les plus importantes ont maintenant été découvertes. Bon an mal an, environ une centaine de noms nouveaux sont soumis aux commissions de nomenclature qui, sous l'égide de l'Union Internationale de Minéralogie (IMA), reconnait les espèces nouvelles et discrédite des minéraux anciens insuffisamment caractérisés. Le solde n'excède pas quelques dizaines d'espèces nouvelles par an, le plus souvent de trés petite taille. Mais, si elle reste le secret espoir de beaucoup de minéralogistes, la découverte de nouvelles espèces, pour intéressante qu'elle soit, ne constitue qu'un aspect particulier, finalement assez limité, de la recherche minéralogique. La minéralogie joue une role central dans toutes les Sciences de la Terre: en Pétrographie, qu'elle soit ignée, métamorphique ou sédimentaire, on s'intéresse d'abord aux minéraux constituant les différentes roches. On pourrait en dire autant de la Géologie Structurale, de la Métallogénie ou meme de la Géophysique, s'intéressant à des paramètres en général interprétés par référence à des phases minérales ("olivine " à structure de pérovskite, phases hypothétiques du manteau profond ou du noyau, etc. ). La cristallographie, qui, sous ses aspects les plus imédiate (cristallographie géométrique), a été à l'origine de la minéralogie, la déborde maintenant trés largement, devenant un outil essentiel en chimie (minérale et organique, pour l'étude de tous les composés artificiels qui, en toute rigueur, ne sont pas des minéraux, ce terme étant en principe réservés aux corps naturels), en physique (surtout physique de l'état solide) ou en biologie (e.g. structure des protéines. Il en résulte un risque non négligeable, que l'on peut mesurer au rythme de la disparition des chaires de minéralogie dans la plupart des universités du monde: se diluant dans d'autres disciplines, la minéralogie tend à perdre son identité, devient un outil aux mains d'autres spécialistes qui n'en maitrisent pas toujours toutes les subtilités. Il importe de connaitre les grandes étapes de son développemt historique, afin de réaliser toute l'importance qu'elle garde au sein des Sciences de la Terre: " the more one knows about minerals, the better Earth Scientists one will be, no matter what one's individual specialization" (F.C. Hawthorne, Presidential address Mineralogical Association of Canada, 1992)
Les débuts de la Minéralogie moderne, de la fin du XVIIIème Siècle jusque vers le milieu du XXème
Cristallographie: De l'étude de la forme géométrique des cristaux à la radiocristallographie
La fin du XVIIIème siècle et le début du XIXème siècle voient les véritables débuts de la minéralogique moderne, avec le développement de la cristallographie géométrique qui, partie de l'étude morphologique des cristaux naturels, va rapidement déboucher sur l' analyse des lois de symétrie et l'identification des systèmes cristallins. En , J.B. Romé de l'Isle énonce la loi de la constance des angles, tandis que R.J.Haüy ( ) identifie les principales lois de la symétrie des formes externes des cristaux et introduit la notion de molecule intégrante . G. Delafosse ( ) introduit la notion de discontinuité dans le cristal. Les éléments de symétrie identifiés par Hauy (centre, plan, axes d'ordre 2, 3, 4 ou 6) ne permettaient que de définir les 32 classes de symétrie auxquelles se rapportent tous les cristaux naturels, ce qui fut établit vers le milieu du XIXème siècle par A.Bravais . Ce dernier reconnut également un certain nombre de modes de réseaux, qui concernaient la structure interne des cristaux et faisaient appel à des opérateurs supplémentaires de symétrie, miroirs de translation et axes hélicoîdaux. L'analyse purement mathématiques des ensembles autorisés par ces opérateurs de symétrie, qui est l'un des fondements de la théorie des groupes, correspond à l'un des plus beaux exemples d'une application des mathématiques les plus abstraites à une science dite naturaliste. En 1879, Léonard Sohncke identifiait 66 groupes de symétrie et ouvrait la voie à Schoenflies et Fedorov , qui ètablirent les 230 groupes de symétrie qui, encore aujourd'hui, sont à la base des idées modernes sur la structure atomique des cristaux.
Il est remarquable de constater que cette structure atomique, qui avait été pressentie, mais non démontrée, à partir de l'analyse géométrique des formes extérieures des cristaux naturels, sera vérifiée de façon éclatante par le développement de la radiocristallographie au début du XXème siècle. Après que G. Friedel ait défini, en 1904, le concept de motif cristallin, Max von Laue (1879-1960) réalise en 1912 la première expérience de diffraction des rayons X par un cristal de blende, démonstration historique de la structure périodique des cristaux. La radiocristallographie prend rapidement un développement considérable, avec des noms tels que Walter Friedrich et Paul Knipping, mais surtout Bragg, le père (William Henry, 1862-1942) et son fils Wlliam Laurence (1890-1971). Ils reçurent ensemble le prix Nobel en 1915 pour avoir montré que l'étude des diagrammes de diffraction X permettait de déterminer la structure des minéraux à l'échelle de l'atome. En 1917, P. Debye (1884-1966) met au point les techniques de diffraction sur un minéral finement pulvérisé (diagrammes de poudres), qui sous le nom de méthode Debye-Scherrer deviendront la méthode la plus couramment utilisée pour l'identification des diverses espèces minérales. Les premiers diagrammes de poudre sont réalisés en 1917 et vaudront à leurs auteurs le prix Nobel en 1936. En même temps, les données sur les structures des différents minéraux s'affinent. Dès l'avènement de la radiocristallographie, les Bragg avaient travaillé sur la structure de la halite, qu'ils résoudront en 1924, en retrouvant au passage des résultats proposés vingt ans plus tôt par William Barlow. Il n'est jamais trés bon d`être trop en avance sur son temps, et les idées de Barlow n'avaient eu aucun écho auprès des savants de l'époque. Après la découverte historique des Bragg, les structures des principaux groupes de minéraux vont rapidement ètre identifiées: diopside, trémolite et vésuvianite par B.E. Warren en 1929, béryl, muscovite et biotite par J. West, le groupe si important des feldspaths par W.H. Taylor, etc. Vers 1935 les structures des mineraux les plus communs des roches sont connues.
La radiocristallographie sera aussi un puissant moyen d'investigation pour les minéraux à composition variables (solution solides), résolvant de façon définitive la célèbre controverse qui avait opposé Hauy et Mitscherlisch à propos du principe d'isomorphie. Elle participe ainsi à la détermination des propriétés chimiques, complétant les méthodes directes d'analyse En 1922, Mauguin publie un travail fondamental sur la structure de cristaux simples à composition chimique variable: chlorures et sulfures . Il précise également les structures des micas et chlorites. La charpente de ces silicates est formée par un nombre fixe d'atomes d'oxygenes :12 pour les premiers et 18 pour les seconds . En revanche, le nombre de cations est variable. En 1929, L. Pauling établit la structure complète de ces minéraux complexes, en donnant les dimensions de la maille cristalline et l'épaisseur des feuillets, dont l'empilement avec un écart fixe (10 A pour les micas, 14 A pour les chlorites) constitue le minéral à l'échelle macroscopique. Ces travaux, qui sont à la base de toutes les recherches sur la structure des minéraux des argiles, ouvrent la voie à des générations de chercheurs - citons, pour la France, les noms de J. Wyart, S. Goldztaub, A.J. Rose, A. Rimsky (parmi beaucoup d'autres) - qui font que, aujourd'hui, les structures de tous les minéraux sont connues en grand détail, fournissant une base physique cohérente à l'interprétations de leurs propriétés. On attache aujourd'hui une grande importance à l'étude des imperfections (défauts ) des réseaux cristallins, et les connaissances acquises trouvent des applications immédiates dans d'autres disciplines, notamment métallurgie et science des matériaux. Pour donner un exemple récent, ce sont des minéralogistes du Geophysical laboratory de la Carnégie Institution (Washington DC, USA) qui ont déterminé les structures des premiers corps supraconducteurs à (relativement) haute température, participant de façon décisive à l'une des grandes aventures de la physique moderne.
Propriétés chimiques des minéraux
Un minéral se définit comme un corps naturel à structure ordonnée - aux rares exceptions près de quelques minéraux à structure vitreuse, tels que le verre naturel de silice ou Lechatelièrite- et à composition chimique précisément codifiée: constante pour un certain nombre d'espèces relativement simples (SiO2 pour quartz, CaCO3 pour la calcite, etc.), variable dans la limite des remplacements isomorphiques autorisés pour la définition de l'espèce. Cette "autorisation" correspond à l'essentiel des discussions au sein des commissions internationales de nomenclature: doit on considérer ou non l'oligoclase, plagioclase albitique à (environ) 20% d'anorthite, comme un minéral à part entière ou une variété d'un autre minéral, le plagioclase. Les discussions sont souvent animées au sein de la commission, avec parfois des considérations qui ne sont pas totalement scientifiques. Il existe en effet en principe de nombreuses règles pour proposer un nom de minéral, qui peut refléter soit le gisement (andalousite), certaines propriétés physiques (disthène = deux duretés ou kyanite =couleur bleue) ou chimique (fluorine), etc. Mais la tendance moderne est surtout de dédier un nouveau minéral à un minéralogiste connu , en général un collègue de celui qui propose la nouvelle espéce. L'acceptation d'un nouveau nom ou, fait beaucoup plus génant, la suppression d'une espèce insuffisamment caractérisée, peut parfois entrainer quelques problèmes qui touchent à la politique.
Ces quelques remarques montrent que la composition chimique est aussi importante que la structure pour la caractérisation d'une espèce donnée. La première classification que l'on peut considérer comme moderne, par A.G. Werner à Freiberg, en Saxe, était uniquement basée sur les propriétés physiques des minéraux. Mais dés 1758, Kronstedt introduisit des données chimiques, qui vont rapidement prendre une grand importance et égaler, puis supplanter les caractères physiques. Cette période voit une interaction profonde entre minéralogistes et chimistes (notamment avec la découverte par J. Dalton (1766-1844) des lois de la stoechiométrie, qui fournit une base cohérente à la notion de structure atomique des minéraux. Beaucoup de savants de cette époque, tels Ebelmen ou Vauquelin , furent à la fois des chimistes de grande renommée et les artisans principaux de la minéralogie "chimique". L'école suédoise fut particulièrement remarquable, avec T. Bergman (1735-1884), et surtout J.J. Berzelius (1779-1848), qui développa une classification des minéraux basée sur l'électronégativité des éléments. Ce fut à cette époque que l'on introduisit des classes de minéraux telles que oxydes, halides, phosphates, sulfates et silicates, qui sont encore aujourd'hui à la base des classifications modernes.On peut ajouter à ces pionniers le nom de Lavoisier, qui s'intéressa beaucoup à la minéralogie -avec une collection personnelle importante de "substances minérales"- , mais qui n'eut guère le loisir de développer la minéralogie de Hauy vers les voies chimiques où il l'aurait probablement conduite. Pour R.J. Hauy, en effet, la chimie ne joue qu'un role accessoire dans la définition d'un minéral. Si elle peut révéler la nature et la quantité des constituants, elle ne peut pas en révéler la structure (assemblage) qui n'est défini que par des critères géométriques (cristallographie). Pour Mitscherlisch, au contraire, deux minéraux peuvent être différents bien qu'ils aient une même structure, si des différences significatives existent au niveau du chimisme. C'est le principe d'isomorphisme, source d'une violente controverse qui ternira les dernières années de la longue vie de R.J. Hauy (qui ira jusqu'à tenter de trainer en justice ses adversaires!). Ce point fondamental ne sera définitivement résolu que près d'un siècle plus tard, lorsque V.I Vernadsky, V.M. Goldschmidt et quelques autres généraliseront la notion de solution solide, établissant de façon irréfutable la justesse des vues de Mitscherlich.
Au dela de ces controverses, la fin du XVIIIème siècle et le début du XIXème verront une croissance impressionante de la connaissance scientifique. La plupart des minéraux "importants" ainsi que 25 nouveaux éléments chimiques seront découverts en quelques dizaines d'années (de 1790 à 1830), établissant de façon définitive la base chimique de la minéralogie descriptive et confortant la pré-éminence des idées de Berzélius. Une avancée décisive se produira en 1837 avec la parution de la première édition du "System of Mineralogy" de James Dwight Dana. Dans la 4ème édition, qui parait en 1854, Dana adopte la classification de Berzelius, suivant un schéma que l'on retrouve presque intégralement dans les ouvrages modernes. Le "Dana" restera pour des décennies la "bible" des minéralogistes, supplantant de façon définitive les traités antérieurs (notammenbt R.J. Hauy, puis Dufrenoy et F. Beudant pour la France, J.F.L. Hausmann (1813) pour l'Allemagne et R. Jameson (1816) pour le Royaume-Uni.
Toutefois, si les données chimiques prennent graduellement une importance de plus en plus grande, il faut bien réaliser que, pendant tout le XIXème siécle, analyser de façon relativement précise la plupart des minéraux relevait du tour de force technologique. A de rares exceptions près, on ne pouvait obtenir des analyses précises, quantitatives qu'après mise en solution des éléments chimiques, opération particulièrement délicate pour de nombreux minéraux, en premier lieu les silicates. On recherche d'abord la présence de certains éléments - surtout les métaux-, par les méthodes de l'analyse "par voie sèche", essais pyrognostiques au chalumeau qui furent portés à niveau élevé de sophistication par des spécialistes tels que A. Braly ou R. Berthier. Maintenant bien oubliées, ces techniques constituaient encore une part importante de l'enseignement universitaire de Minéralogie au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Les analyses quantitatives font appel aux méthodes traditionnelles de la chimie analytique: mise en solution, avec pour les silicates le problème de devoir manipuler des acides fluorhydriques concentrés, extrèmement dangereux, puis analyse par gravimétrie, colorimétrie, etc. On cherchait bien à pallier aux difficultés par des techniques souvent ingénieuses (par exemple la microchimie, recherches de microcristaux caractéristiques de la présence d'un certain élément sous le microscope, e.g. travaux de Berhens et Boricky en 1877 ,de L .Bourgeois en 1893 ), mais la encore il ne pouvait s'agir que de méthodes qualitatives ou semi-quantitatives, qui restèrent relativement confidentielles.
Dans chaque pays, seuls quelques rares centres étaient suffisamment importants pour disposer de tout le matériel et surtout les analystes suffisament qualifiés: le Museum d'Histoire Naturelle à Paris (travaux de A. Lacroix et J. Orcel), les laboratoires de la Carnegie Institution aux USA, les universités de Berlin ou Heidelberg en Allemagne, les centres de Vienne (Autriche) ou Zurich (Suisse), etc. En dépit de ces difficultés, un énorme travail d'analyse de milliers de minéraux et de roches est réalisé entre 1790 et les années suivant la Première Guerre Mondiale, permettant l'avènement d'une nouvelle discipline majeure des Sciences de la Terre, la Géochimie, qui apparaitra vers 1920 à partir d'au moins trois courants de pensées indépendants, mais complémentaires: le groupe de F.N. Clarke aux USA, qui développera la pétrographie chimique (notamment pour les classifications pétrographiques et l'estimation des compositions moyennes des divers constituants de notre planète), V.M. Goldschmidt (1888-1947) en Norvège, puis en Allemagne (malheureusement pris dans la tourmente de la Seconde Guerre Mondiale) (application des lois de la thermodynamique chimique aux équilibres entre minéraux) et V.I. Vernadsky , puis A. Fersman (1883-1945) à Paris (Museum d'Histoire naturelle), puis Russie (Moscou) (notion de cycle géochimique, interaction entre les différentes enveloppes de notre planète, depuis l'atmosphère jusqu' aux domaines internes les plus profonds).Parmi ces noms, la plupart des spécialistes actuels s'accordent à considérer que V.M. Goldschmidt et V.I. Vernadsky sont les véritables initiateurs de la Géochimie moderne, qui a pris un développement remarquable depuis que l'on sait analyser et interpréter les "traceurs" góchimiques (éléments en trace et géochimie isotopique).
Propriété physiques
Les difficultés de l'analyse chimique des minéraux ont fait que, trés tôt, les scientifiques ont cherché à les compléter ou à pallier leur absence par l'étude des autres propriétés, notamment physiques. Les propriétés physiques de base: couleur, éclat, densité, dureté, aspect (clivages) restent un moyen important de détermination, surtout sur le terrain. Les principes de leur étude n'ont guère varié depuis le début du XIXème Siècle: vers 1820, le minéralogiste autrichien F. Mohs, tout en donnant la première définition rigoureuse des 7 systèmes cristallins, publie l' échelle de dureté à 10 degrés que l'on utilise encore aujourd'hui (1: talc, 2: gypse, 3: fluorine, 4: calcite, 5: apatite, 6: orthose, 7: topaze, 8: quartz, 9: corindon, 10: diamant). Mais, à coté de caractères immédiats, deux propriétés présentent une importance particulière: interaction des cristaux avec la lumière (propriétés optiques) et propriétés thermiques, trés utilisées pour l'analyse de certains minéraux de trés petite taille (minéraux des argiles)
Propriétés optiques: Observation des minéraux au microscope polarisant
La découverte de la double refraction dans le spath d'Islande par E. Bartholomé en 1672 et sa première interprétration C. Huygens en 1674 marquent le début de l'étude des propriétés optiques des cristaux. Les recherches ne progresseront guère pendant tout le XVIIIème siècle, plus intéressé par la cristallographie géométrique, mais vont brutalement s'accélérer à partir de 1800, dés que l'on disposera d'instruments (microscopes) adaptés. Vers 1810, Arago étudie la polarisation et le pouvoir rotatoire du quartz, tandis que Biot définit les premiers principes de ce qui deviendra l'optique cristalline, en reconnaissant notamment les catégories de cristaux uniaxes et biaxes. On sait alors que certains minéraux interfèrent avec la plan de polarisation de la lumière, ce qui va susciter tout une série de travaux sur l'optique des microscopes. Les premières recherches sont moins consacrés aux cristaux eux-mêmes qu'aux imperfections qu'ils peuvent présenter, notamment les inclusions fluides qui furent les premiers objets qui frappèrent les observateurs lorsqu'il commencèrent à regarder des cristaux au microscope. Au début du XIXème siècle, Davy, puis Brewster découvrirent un mystérieux "liquide fortement expansible", dont ils analysèrent avec précision les caractères physiques (indice de réfraction) et le comportement à température variable. Mais sa composition ne fut connue que plus de cinquante ans plus tard (1871), par les analyses spectroscopiques de H. Vogelsang et F. Geisler à Delft: il s'agissait de CO2, l'un des constituants principaux des inclusions fluides.
En 1818, Mallus découvre la polarisation chromatique et définit le rayon polarisé. Vers 1830, Nicol perfectionne le système de prismes de Mallus et construit le nicol, permettant la construction de microscopes polarisants adaptés à l'observation de lames minces de minéraux et de roches. Sous les railleries de ses collègues -"Monsieur de Saussure, qui se moquait de ce que l'on cherche à étudier des montagnes sous un microscope"-, l'anglais H. C. Sorby va généraliser l'usage du microscope polarisant en minéralogie et en pétrographie, amenant une révolution technologique qui n'aura guère d'équivalent que par la découverte de la microsone électronique, un siècle et demi plus tard. Gràce aux progrès techniques remarquables réalisés en quelques années par quelques grands fabriquants de microscope, tels que Nachet en France, Leitz et Zeiss en Allemagne, Reichert en Autriche, la détermination des caractères optiques des minéraux va devenir l'une des grandes aventures scientifiques du XIXème siècle. Les minéralogistes recherchent avant tout les relations entre caractères optiques, structure et composition au sein des grands groupes de minéraux des roches: en premier lieu feldspaths, micas, pyroxènes et amphiboles.Le microscope polarisant devient plus qu'un moyen de détermination, un véritable outil d'analyse. L'optique cristalline est une science complexe, où s'illustrent des physiciens célèbres, tels Fresnel, qui définit en 1820 l'ellipsoide des indices. Deux grandes écoles vont alors dominer le monde: la France, qui gràce aux chercheurs du Museum d'Histoire Naturelle et de l"Ecole de Paris reste presque exclusivement minéralogique et l'Allemagne-Autriche, qui s'orientera rapidement vers la description systématique des assemblages de minéraux au sein de roches , prenant donc une voie plus nettement pétrographique. A Paris, A. Descloizeaux étudie, gràce à des lames épaisses, les caractères optiques de 468 espèces minérales, cependant que A. Michel-Levy, vers 1880, définit les bases théoriques permettant l'interprétation des mesures de biréfringence. Le problème si important de la détermination du groupe des feldspaths, qui permettra le développement des classifications pétrographiques modernes basées sur la composition des minéraux "blancs" (riches en alcalins -quartz, feldspaths et feldspathoides), sera abordé par Des Cloizeaux en 1875, poursuivi par P. Fouqué et A. Michel-Levy, finalement résolu dans un magistral ouvrage publié par ce dernier en 1894. "L' étude sur la détermination des feldspaths dans les lames minces au point de vue de la classification des roches", imprimé à Paris par la librairie Polytechnique Baudry, sera reprise, de façon plus ou moins directe, par tous les ouvrages expliquant le maniement du microscope pétrographique aux pétrographes.
Vers la même époque (1893), le Russe V.S. Fedorov introduit les premières platines universelles, permettant l'orientation tridimensionnelle des lames minces de roches sous le microscope. Ces apparails complexes autorisent un repérage précis des éléments optiques (notamment axes) par rapport aux repères cristallographiques. La platine universelle suscitera une série de travaux importants (Duparc et Rheinhart en Suisse, Emmons aux USA), qui restent remarquables du point de vue théorique, mais qui ont perdu beaucoup de leur intérèt pratique en minéralogie analytique depuis que l'on dispose des microsondes électroniques. Elle reste en revanche trés utilisée sous une forme simplifiée (platine à aiguille) pour l'étude des minéraux en grains, ainsi que pour des mesures microstucturales.
En Autriche-Allemagne, les recherches ont un caractère beaucoup plus appliqué vers la pétrographie. Les classifications pétrographiques allemandes sont surtout basées sur l'indice de coloration", pourcentage relatif entre minéraux blancs (contenant surtout K, Na, Ca) et colorés (riches en Fe-Mg). L'indice de coloration est immédiarement perceptible sous le microscope, sans qu'il soit nécessaire de connaitre de façon trés précise la composition des différents groupes minéraux. L'apport de l'école allemande aux progrés de la minéralogie microscopique est toutefois loin d'être négligeable. En 1864, P. Tschermak définit de manière rigoureuse le concept de solution solide et, en 1870, il précise les caractères microscopiques des principaux groupes de minéraux colorés: micas (biotite), pyroxènes (augite) et amphibole (hornblende). Vers 1890, le minéralogiste viennois F. Becke montre que, lorsque l'on détruit la mise au point d'une préparation sous le microscope le sens de déplacement d'un liseré lumineux au contact de deux minéraux contigus se fait en fonction de la valeur relative de leur indice de refraction. Cette cèlèbre méthode du "liseré de Becke" reste encore aujourd'hui un moyen essentiel de détermination, non seulement sur des minéraux en lame mince, mais aussi sur des minéraux isolés (minéraux en grains).
A partir de 1900, les connaissances théoriques sont suffisantes pour aborder la réalisation des grands traités systématiques, dont la réalisation se poursuivra jusqu'à la veille de la seconde guerre mondiale. Ces traités concernent aussi bien la minéralogie systématique que la pétrographie, avec la encore une certaine opposition entre la France et l'Allemagne. En France, on privilégie surtout la minéralogie systématique, gràce notamment à A. Lacroix, Professeur au Museum , qui , à partir de 1893, publiera pendant plus de 20 ans les monumentaux volumes de la Minéralogie de France et de Madagascar. En Allemagne, les traités de H. Rosenbusch (Mikroskopische Physiographie de Mineralien und Massige Gesteinen) dont la première édition date de 1873, seront constamment réedités et complétés jusqu' en 1924 par E. Wulfing. Ces ouvrages restent une base de référence indispensable, et surtout ils sont la source directe de tous les ouvrages utilisés encore aujourd'hui pour l'enseignement de la minéralogie et pétrographie microscopiques (e.g./ M. Roubault en France, A. Kerr aux USA, etc. )
Pendant longtemps, seuls les minéraux transparents ont pu être étudiés au microscope "à transmission", dans lesquels les rayons lumineux passent au travers des minéraux étudiés. En 1927 ,J. Orcel étend cette technique aux mineraux opaques. Il met au point un microscope polarisant par reflexion , permettant de faire des observations qualitatives sur les constituants des mineraux opaques :couleur, dureté, clivage et teintes de polarisation. Le pouvoir réflecteur peut etre mesuré de façon quantitative, par des appareillages relativement complexes. On a pu ainsi élaborer des tables de détermination (F. Uytenbogaardt et E.A.J. Burke) trés utilisées en métallogénie. Les recherches actuelles s'orientent vers des microscopes à éclairage infra-rouge, qui grace à un convertisseur d'image monté dans l'oculaire permettent d'étudier en lumière transmise des minéraux (sulfures, éléments natifs) opaques dans le spectre visible.
Il faut aussi noter que l'étude théorique des minéraux transparents en lumière polarisée a entrainé un usage quasi-général de lames minces d'une épaisseur standard (30 microns). Ces préparations détruisent l'essentiel des inclusions fluides contenues dans certains minéraux (notamment le quartz), qui ont couramment des dimensions comparables, voire supérieures. Il s'agit d'un domaine d'étude actuellement en plein développement, qui se fait sur des préparations spéciales (lames polies 3 à 4 fois plus épaisses que les lames minces normales), grace aussi à un microscope équippé d'une surplatine chauffante et réfrigérante, permettant l' observation des préparations dans une gamme étendue de température ( microthermométrie, entre -200 et +600, voire +1500°C).
Une découverte inattendue due au microscope polarisant: les cristaux liquides:
En 1899, Lehmann découvre le comportement particulier sous le microscope polarisant du benzoate de cholesterine, qui maintenu entre 145°C et 178°C presente une anisotropie alliée à une certaine fluidité. Il donne le nom de cristal liquide à cette phase nouvelle, qui se retrouve dans d'autres conditions, notamment à la surface de gouttes de liquides trés visqueux (F. Grandjean). F . Wallerant s'intéressa ègalement à ces substances et en améliora les méthodes d'étude.Mais c'est à Ch. Mauguin que revient la découverte d'un phénomène trés important: en chauffant des cristaux liquides dans un champ magnétique, les molécules s'orientent de façon à se comporter comme un cristal uniaxe dont l'axe optique est parallèle aux lignes de force du champ magnétique.
En 1922, G. Friedel remplace le terme de cristal liquide par celui de phase mésomorphe. Ray (1936), puis Weygand (1948) démontrent que l'état cristal-liquide n'apparait que si la molécule est plane et trés allongée. On connait maintenant de nombreuses substances formant des cristaux liquides. Pendant longtemps, elles ont été considérées comme des curiosités de laboratoire, jusqu'à ce que l'ère des computers ne les projettent en pleine actualité. Des cristaux liquides sont en effet susceptibles de s'orienter sous l'influence de champs électro-magnétiques de faible intensité, donc de visualiser des signes ou images sur un écran. Ils sont maintenant utilisés à trés grande échelle dans de trés nombreuses applications liées à l'électronique.
Autres propriétés physiques (électriques, magnétiques et thermiques)
Si les caractères optiques des minéraux sont surtout utilisés pour leur détermination, notamment en vue des applications pétrographiques, certaines propriétés peuvent également avoir d'autres applications. C'est la cas en particulier du pouvoir rotatoire, qui a permis de mieux connaitre la structure de certains minéraux. En 1837, Delafosse met en évidence le fait que le pouvoir rotatoire est lié à la dyssimétrie du milieu. Son éléve Louis Pasteur, en 1860, distingue deux formes de mériédrie , dont l'une seulement est compatible avec l'existence du pouvoir rotatoire. Cette propriété sera notablement utilisée pour l'analyse des sucres. Descloizeaux découvre le pouvoir rotatoire du cinabre , F. Wallerant l'explique dans le quartz, et A. Longchambon, en 1922, met au point une méthode de mesure permettant d'établir une relation entre pouvoir rotatoire et symétrie cristalline dans les cristaux biaxes.
D'autres propriétés physiques ont fait l'objet de nombreuses études et applications: piézo ou pyroelectricité, propriétés qu'ont certain cristaux de faire apparaitre des charges électriques sous l'influence de variations de pression (piezoelectricité) ou de température (pyroelectricité). Ces propriétés sont directement liées à l'anisotropie du système cristallin (notamment mériédrie des systèmes rhomboédrique ou hexagonal, quartz ou tourmaline). L'existence de la pyroélectricité a été reconnue dés la fin du XVIIIème siècle (expériences de R.J. Hauy sur la tourmaline), mais c'est la piézoélectricité, étudiée en 1880 par Jacques et Pierre Curie, qui présente le plus grand intérèt pratique (vibration à fréquence constante sous l'influence d'un champ électrique, phénomène utilisé dans les émetteur radio ou montres à quartz).
Les propriétés magnétiques de certains minéraux présentent également une trés grande importance. Certains minéraux, comme la magnétite, sont trés fortement magnétiques. Ils constituent donc de remarquables aimants naturels, mais les espéces concernées par ce type de magnétisme (ferromagnétisme) restent relativement rares (pour l'essentiel, oxydes doubles à structure spinelle). En revanche presque tous les minéraux, surtout lorsqu'ils contiennent des éléments chimiques à valence variable, sont plus ou moins magnétiques, à un degré beaucoup plus faible que les minéraux ferro-magnétiques. Le magnétisme présent dans une phase minérale donnée disparait au dessus d'une certaine température (point de Curie), mais est susceptible de réapparaitre au cours du refroidissement, en fossilisant la direction du champ magnétique terrestre à cet instant.. C'est le principe des études paléomagnétiques, qui ont joué un role essentiel pour la compréhension des modalités de l'accrétion du fonds des océans à partir des rides mi-océaniques. La notion de tectonique des plaques, qui a littéralement révolutionné toutes les Sciences de la Terre au cours des cinquante dernières années, est une conséquence directe de ces études paléomagnétiques, qui comportent encore bien des inconnues (par exemple, sur les causes précises des inversions du champ magnétiques terrestre, répétées à de nombreuses reprises au cours du Quaternaire).
A ces propriétés électriques et magnétiques, on doit ajouter les propriétés mécaniques, qui permettent de comprendre les modalités et la rhéologie des déformations dans les domaines qui ne nous sont pas directement accessibles. Mais ce sont surtout les propriétés thermiques qui ont fait -et continuent de faire- l'objet des applications les plus nombreuses. La conductivité thermique ( ou la capacité calorifique, qui lui est directement liée) des minéraux est un paramètre essentiel, utilisée aussi bien pour l'interprétation des données géophysiques (interprétation des flux de chaleur mesurés en surface, estimation du degré géothermique) que pour le calcul thermodynamique des équilibres entre phases minérales. Une application trés importante des mesures de thermicité concerne l'analyse des minéraux argileux, trop petits et complexes pour pouvoir étre analysé facilement par tout autre technique. C'est à partir de 1930 que ces techniques ont été généralisées. Si l'on chauffe un minéral hydraté, on constate que celui ci passe par differentes phases de déshydratation, désorganisation et recristallisation, qui se traduisent par des pertes de poids (analyse thermopondérale), des variations de taille (analyse dilatométrique) ou calorifiques, liées au réactions endo- ou exothermiques (analyse thermiques différentielle). En liaison avec des analyses par diffraction X, ces techniques sont essentielles pour l'étude des minéraux des argiles, domaine trés important de la géologie des ensembles sédimentaires.
Minéralogie expérimentale
L'un des buts ultimes de la minéralogie est non seulement d'identifier les minéraux, mais aussi de déterminer les domaines de pression et de température dans lesquels ils se sont formés. Un moyen est de les reproduire au laboratoire, et ceci a été tenté dés le XIXème siècle, notamment à Paris. C'est en effet dans les laboratoires de l'Ecole des Mines de Paris que A. Daubrée (1848-1896), auparavant professeur à l'Université de Stasbourg, a effectué les premières synthéses minérales. Il a ainsi ouvert la voie à de trés nombreux chercheurs, qui ont d'abord cherché à reproduire les minéraux les plus précieux, c'est à dire ceux qui constituent les "pierres" du même nom. Alors que Moissan obtenait des résultats trés controversés sur la synthèse du diamant, P. Hautefeuille réalisait de nombreuses synthèses en utilisant des agents minéralisateurs (gaz ou vapeur comme catalyseurs. Il a reproduit ainsi le rutile le corindon et le sphene. Par voie sèche, il réussit à cristalliser tridymite, quartz, néphéline, leucite, phénacite, zircon et émeraude, par voie humide les trois variétés polymorphiques du titane. Entre 1871 et 1892, E. Fremy, Feil et Verneuil ont synthetisé le rubis.
Tous ces travaux n'étaitent que les premiers balbutiements d'une voie de recherche qui prendra un développement extraordinaire à partir de la seconde moitié du XXème Siècle. Les synthèses aux laboratoires, qui se font sous des conditions connues de température et de pression, permettent de vérifier les études théoriques sur les lois de l'équilibre entre phases minérales, où s'illustrèrent des noms tels que Bakhuis Roozeboom, P. Schreinemakers ou W. Gibbs. Pendant tout le XIXème siècle, il y eut relativement peu de véritable interpretation, en dehors des travaux remarquables de Van't Hoff sur la cristallisation des sels à partir de l'évaporation de l'eau de mer ou sur la transition gypse-anhydrite. En ce qui concerne des problèmes plus complexes, concernant notamment la cristallisation des principaux types de roches ignées (granite et basalte), les premiers travaux furent réalisés par l'Anglais J. Hall (1761-1832). Mais il était impossible de connaitre avec une quelconque précision les températures de fusion des principaux minéraux avant l'invention du thermocouple platine-métal, qui ne fut réalisée qu' en 1886. Dés cette date, la situation va évoluer rapidement. Les théories magmatiques définies par H. Rosenbusch sont bien établies, la technique des laboratoires (fours, autoclaves, appareils de mesure de température et de pression) permet de réaliser des expériences fiables. La minéralogie expérimentale va prendre alors un grand essor, sous l'influence surtout de l'américain N.L. Bowen, qui rejoint en 1910 le Geophysical Laboratory de l'Institution Carnegie de Washington (créé en 1906). En quelques années, N.L. Bowen élucidera les mécanismes de la cristallisation des magmas basaltiques et, abordant des systèmes de plus en plus complexes, aboutira au principe de la cristallisation fractionnée, l'un des fondements de la pétrographie moderne.
Minéralogie et pétrologie expérimentales sont devenues aujourd'hui l'une des branches les plus importantes de toutes les Sciences de la Terre. En 1954, l'équipe française de Weil, Hocart et Monier réussit mla synthèse de minéraux opaques: arséniures de cuivre, proustite et stibine . Quelques années plus tard, J. Prouvost transforme des sulfures métalliques dans des conditions rappelant celles des remplacements hydrothermaux. Ce travail fut continué par Maurel, qui analyse les changements hydrothermaux entre 100°C et 200°C entre minéraux sulfurés metalliques et solutions aqueuses de sels.
Les années 1965 ont vu de nombreux travaux consacrés aux interactions fluides-solides dans le système des feldspaths alcalins. A basse temperature, ce problème concerne essentiellement la synthese de minéraux de roches sédimentaires et des formations superficielles, c'est a dire les argiles. La kaolinite et la muscovite ont été obtenues en 1965 à Paris par Lagache ; Wey et son équi pe ont produit des zéolites en 1970.
Le domaine complémentaire de la pétrographie des roches magmatiques et métamorphiques a également vu de trés nombreux travaux expérimentaux. F. Fouque et A. Michel-Levy avaient montré la voie, en reproduitsant des minéraux de roches volcaniques par voie sèche. J. Wyart, intervenant dans la grande controverse qui, pendant des années, opposa "solidistes" et "magmatistes" pour le problème de l'origine des granites, a montré l'importance de l'eau lors de la cristallisation des magmas granitiques .A partir de 1940, H. Saucier étudie en laboratoire la viscosité d'un verre à composition chimique de granite. Ces travaux, qui réclament un équipement particulièrement importants, ont été développés dans un nombre relativement restreints de laboratoires supérieurement équippés: Le Geophysical Laboratory de Washington bien sur, qui pendant des décennies a fourni le modèle à tous les autres, mais aussi le groupe de H. Winkler à Göttingen , qui essaiemera dans la plupart des universités d'Allemagne et d'Autriche, le Centre de Recherches sur la Synthèse des Minéraux (CNRS) d'Orléans, l'Institut de Recherches de Chernogolovka, orès de Moscou (Russie), etc. C'est l'expérimentation qui a permis de définir les bases de données thermodynamiques indispensables pour le calcul des réactions interminérales et, surtout, la déterminations des conditions pression-températures subies par les roches profondes (notamment, les cheminements P-T des roches métamorphiques). Les recherches actuelles se poursuivent dans de multiples directions: cinétique des réactions, rhéologie des magmas et , surtout, obtention de températures ou surtout de pression de plius en plus élevées. Grace aux "enclumes à diamants", on peut aujourd'hui reproduire certaines conditions régnant en tout point du globe, jusque dans les niveaux les plus profonds, manteau inférieur et même noyau.
LA MINERALOGIE AUJOURD'HUI
Au début des années 60, une révolution technologique majeure intervint, qui ne peut guère se comparer qu'à l'introduction du microscope un siècle et demi plus tôt: la microsonde électronique, inventée par J.D, Castaing à l'Universitee d'Orsay. Ce n'était que le premier de toute une série d'instruments, qui nous permettent aujourd'hui de connaitre composition et structure des phases minérales avec une précision et surtout une résolution complètement impossibles à envisager il y a quelques années à peine. Ces instruments arrivent sur le marché à une cadence telle qu'il devient difficile d'en maitriser tous les paramètres. La plupart font appel à des sources de hautes énergies autres que rayons X, en particulier neutrons, électrons et radiation synchroton. En outre, certaines techniques optiques traditionnelles, dans le spectre visible, ont été complètement renouvelées par l'emploi de sources cohérentes (lasers) , utilisées soit pour leurs propriétés mécaniques (formation ponctuelle d'un plasma, ablation de couches superficielles), soit en spectroscopie moléculaire (effet Raman).
Appareils d'analyse à faisceau de particules (électrons, ions, protons)
Le bombardement d'une surface minérale polie par une faisceau d'électron entraine une émission de rayons X secondaires liés à la nature des éléments chimiques constituant le minéral. Il devient possible d'analyser de façon ponctuelle (surface de quelques microns) et non destructive toute phase minérale. des variations de composition extrement fines (exsolution, défaut cristallins), voire insoupçonnable au microscope (zoning) peuvent alors étre mise en évidence. L'appareil peut être optimisé, soit pour l' analyse (microsonde électronique), soit pour l'acquisition d'images à trés fort grossissement (microscopes électroniques à balayage équipés d'un système d'analyse à dispersion d'énergie de type EDS). Les appareils les plus récents sont précis, fortement automatisés, sensibles (limite de détection de l'ordre du ppm pour la plupart des éléments. Toutefois, un certain nombre de paramètres ne peuvent être analysés: degré d'oxydation pour les éléments à valence variable (Fe2+/Fe3+), les isotopes, la plupart des éléments volatils, les éléments plus légers que bore ou beryllium. En outre les électrons ont une trés faible pouvoir de pénétration, ce qui n'autorise que des analyses des surfaces minérales.
Le microscope électronique est connu depuis les années 30, mais ce n'est guère que dans les années 70 qu'il a été appliqué à la minéralogie. Les premières utilisations ont surtout fait appel aux possibilités d'obtenir des grossissement trés supérieurs à ceux du microscope optique. La mise au point de dispositifs analytiques à dispersion d'énergie en a fait des appareils comparables, ou plutôt complémentaires, à la microsonde électronique. L'appareil est optimisé pour l'image dans le cas du microscope électronique, pour l'analyse dans le cas de la microsonde.
Le microscope électronique à balayage (SEM) est grossièrement comparable à un microscope à réflexion. Dans le case du microscope électronique à transmission (TEM), au contraire, les électrons passent au travers de la préparation étudiée, et dans les appareils les plus performants (Microscopie électronique à haute résolution), permettent pratiquement d'accéder jusqu'à la structure atomique du minéral.
Les microscopes électroniques permettent des analyses par diffraction d'électrons, dans le mode ransmission (TEM). Le faisceau d'électrons a une longueur d'onde extrèment petite (<0,03A°), donc un trés grand pouvoir de résolution, mais aussi une forte interaction avec les atomes rencontrés. Les préparations devront donc être extrêment minces (quelques angstrms), préparées par des techniques trés spécialisées telles que le bombardement ionique. Le TEM est le seul instrument permettant d'obtenir des informations sur la structure minérale à l'échelle de la maille ou même de l'atome, ainsi que sur les défauts cristallins du type dislocation, défaults de stoechiométrie, micromacles, etc. . Il est extrèmement utilisés par les spécialistes de la croissance cristalline ou de la déformation des minéraux, notamment pour étudier le fluage au sein du manteau terrestre.
Un inconvénient majeur des appareils à faisceau d'électrons tient à leur faible pouvoir de pénétration, qui limite leur emploi à l'étude de phénomènes de surface, ou, à la rigueur, de couches trés peu profondes (quelques angstroems). Certains de ces inconvénients sont palliés par l'introduction récente (années 80) des microsondes ioniques, qui utilisent un faisceau d'ions au lieu d'électrons. Le pouvoir de pénétration est beaucoup plus grand, ce qui autorise les analyses au sein même du mineral, et les possibilités théoriques sensiblement plus importantes: possibilité d'analyser les éléments légers (jusqu'à l'hydrogène), et surtout de mesurer in situ les rapports isotopiques (donc d'accéder aux mesures d'age, par exemple sur les zircons). Toutefois, il s'agit d'instruments trés couteux, complexes, d'un maniement difficile, dont la maitrise n'est pas à la portée de tous les laboratoires
La microsonde ionique n'est que le premier exemple de toute une série d'appareils, batis autour de sources de protons. Dans le cas du PIXE ( Proton induced X-Ray emission) ou PIGE (Proton induced gamma-ray emission), le principe est le même que celui de la microsonde électronique, mais le faisceau incident est constitué de protons au lieu d'électrons. Le pouvoir de pénétration est beaucoup plus grand, au moins comparable à celui des microsondes ioniques, l'énergie des particules incidentes connue de façon plus précise en fonction des caractéristiques de la source (en général accélérateur linéaire Van de Graff). Le signal émis (Rayons X dans le cas du PIXE, gamma dans le cas du PIGE) sont analysés par des cristaux, de façon grossièrement comparable à ce qui se passe dans les microsondes électroniques.
On a utilisé ces techniques pour l'analyse des métaux précieux en trace dans les sulfures, ainsi que pour la recherche de certains éléments, tels que le carbone, non décelable à la microsonde électronique (carbone dans les chondrules de certains métórites). La sensibilité est trés bonne , mais le calibrage trés difficile.
NOUVELLES SOURCES DE RADIATION ( Texte Mottana: New Radiation kinds)
New radiations kinds
Spectroscopie IR et Raman
J. Lecomte et Cl. Duval publient en 1943 les premiers travaux relatifs aux spectres d'absorption IR obtenus sur de la goethite, manganite brucite diaspore et hydrargilite. J. Lecomte construisit par ailleurs le premier spectrographe à enregistrement photographique .Les spectres IR permettent une bonne caractérisation des éléments volatils (OH, groupements CO3--, etc..) contenus dans les structures minérales, et ils sont devenus une méthode essentielle pour l'étude des minéraux trop petits pour être étudiés au microscope optique, notamment dans les roches sédimentaires (minéraux des argiles). Il s'agit de spectroscopie moléculaire, faisant souvent appel à des techniques complexes (Transfrormation de Fourier ) pour l'analyse du signal (déconvolution des spectres= FTIR).
On peut rapprocher de la spectrométrie IR une autre spectrométrie moléculaire, la spectrométrie Raman, qui connait actuellement un grand développement dans certains secteurs bien spécialisés de la minéralogie, notamment gemmologie et étude des inclusions fluides. L'effet Raman, qui correspond à un certain glissement de longueur d'onde d'une radiation lumineuse par interaction moléculaire, est connu depuis les années 30, mais n'a pu être utilisé en minéralogie que lorsque l'on a pu disposer d'une source lumineuse suffisamment puissante et colhérente (laser). Les avantages sont nombreux (analyse rapide et non-destructive sur des échantillons de trés petite taille), mais les analyses ne sont possibles que sur les substantes dites "actives". En sont exclues les composés purement ioniques (e.g; éléments natifs, chlorures), ainsi que les substances fluorescentes, qui masquent l'effet Raman et empèchent toute mesure.
Méthodes d'ablation: Ablation Laser, SIMS
Dans ces techniques, le faisceau de particules ou une radiation laser de puissance suffisante est utilisée pour arracher des ions ou particule de surface et les analyser au spectromètre de masse (SIMS = Secondary Ion Mass Spectrometry). On peut accéder à des éléments particulièrement importants, pour comprendre les échanges géochimiques dans les roches du manteau: Terres rares, isotopes, etc. ou analyser de minces couches en surface, afin de suivre les phénomènes de dissolution et d'altération. L'analyse au spectromètre de masse est particulièrement adaptée à la mesure des rapports isotopiques, donc au mesures d'ages sur échantillon ponctuel (zircons).
MINERALOGIE THEORIQUE
La minéralogie a suscité de trés nombreux travaux théoriques, dont beaucoup se rapportent en fait à la physique de l'état solide. Citons deux exemples, ayant trait aux associations de cristaux (macles) et au phénomène d'épitaxie.
Les macles
Les macles sont des édifices complexes, résultant de la juxtaposition de plusieurs individus suivant une loi d'orientation bien précise.De nombreux mineralogistes se sont penchés sur leur origine: mécanique , par glissement ou juxtaposition . En 1904, Friedel énonce une loi générale sur le prolongement du réseau périodique au travers des différents cristaux constituant la macle. L'édifice maclé a donc une symétrie inférieure à celle des cristaux isolés, mais tous ont en commun les éléménts de symétrie de la macle.
En 1928, J. Drugman publie des travaux importants concernant les feldspaths, les associations cumulatives de macles dans l'orthose ainsi que les macles de Zinnwald dans les quartz bipyramidés . Ungemach s'est intéesséaux macles du réalgar de Matra en corse, cependant que des études comparables étaient faites sur la blende et panabase de St Etienne de Baigorry. En 1965, Curien et Bondot étendent ce domaine de recherche aux composés chimiques, et ils étudient les macles en rose, genou et en etoile à 3 branches du chromate de potassium artificiel.
En 1970, Dussausoy et Wandji décrivent la macle du disiliciure de fer.
D'autres travaux ont montré comment décrire une macle parfaite par mériédrie réticulaire. A partir de ces données, Waintal et Sivardière ont pu réaliser la notation de macles à l'aide des représentations réelles de dimensions des groupes ponctuels. Cette notation permett d'envisager toutes les formes de macles possibles dans une holoédrie donnée.
Epitaxie
L. Royer en 1953 désigne par le terme d'épitaxie, l'orientation d'un cristal qui se dépose sur un mineral d'espèce différente . Cette orientation, conséquence de spécificités communes aux deux cristaux, nécessite deux conditions
1)- l'existence , dans les deux réseaux,d'une maille simple ou multiple presque identique en forme et dimensions
2)- les ions du cristal orienté, remplaçant les ions du cristal support de la croissance, sont tous de mêmes polarités .
En laboratoire, on a ainsi réalisé de nombreux groupements épitaxiques, en constatant que ceux-ci étaient plus faciles sur des cristaux de dureté inférieure à 4 . En 1978, R. Kern publie le résumé de vingt années de travaux , mettant en évidence la nécessité du calcul thermodynamique pour prévoir certains modes de croissance épitaxique .
Les rapports ambigus entre la Minéralogie et les autres disciplines des Sciences de la Terre. Le role des Musées de Minéralogie
Dans une certaine mesure, la Minéralogie a été victime de son succès. Elle se trouve aujourd'hui écartelée entre toute une cohorte de disciplines:
Dans presque tous les pays, ces disciplines sont plus puissantes, reconnues et codifiées que la minéralogie, réduite ainsi au role d'outil au service d'un groupe de scientifiques qui, parfois, en ignore l'essentiel. Il n'est que de voir le rhythme auquel se réduit les chaires universitaires de Minéralogie - presque systématiquement transformées en postes de pétrographie ou géochimie, quand elles ne disparaissent pas purement et simplement- pour mesurer l'importance du risque. Car ce risque existe bien: le physicien, qui ne connait que l'échelle de l'atome, le géophysicien, qui ne s'intéresse qu'aux propriétés physiques des minéraux, le géochimiste, souvent incapable de reconnaitre sur le terrain les espèces minérales les plus simples, ne sont pas de véritables minéralogistes. Ils ne connaissent qu'un aspect, parfois déformé jusqu'à la caricature, d'un ensemble complexe qui ne prend toute sa valeur que s'il est appréhendé dans sa totalité.
Reconnaissons que cette évolution est inéluctable: les grands problèmes se posent à l'échelle de notre planéte, et le minéral à lui seul n'est qu'une étape qui ne permet pas d'accéder à l'ensemble. Dans les Sciences de la Terre, la pétrographie ou le géochimie ont à cet égard un avantage décisif, puisque leur objet correspond précisément à cette échelle. Mais il importe qu'elles reconnaissent toute l'importance de la minéralogie, sans mésestimer les difficultés techniques qui font que, bien souvent son enseignement est trés impopulaire auprès des étudiants débutants.
A cet égard, les musées de Minéralogie prennent une importance primordiale. Ils constituent non seulement l'endroit idéal pour conserver l'héritage que nous ont légué les générations précédentes, toutes ces espèces provenant de gisements maintenant disparus, mais c'est aussi la place où la minéralogie systématique doit garder toute son importance, et. pas seulement pour l'aspect esthétique et la valeur muséologique des grandes collections. Certes, c'est cet aspect qui est probablement le plus prisé du public, et il n'est pas question d'en méconnaitre l'importance. Mais les musées doivent aussi être des centres actifs de recherche, assurer les études fondamentales qui disparaissent progressivement des universités. On risque autrement de voir rapidement disparaitre une some de connaissances, un capital d'expertise dont on mesurera l'importance lorsqu'on l'aura perdu.
Un exemple de résultat minéralogique: Les inclusions fluides