La mineralogie aujourd'hui

 

Méthodes modernes d'analyse minéralogique

Minéralogie théorique

Les rapports ambigus entre la Minéralogie et les autres disciplines des Sciences de la Terre. Le role des Musées de Minéralogie

 

Au début des années 60, une révolution technologique majeure intervint, qui ne peut guère se comparer qu'à l'introduction du microscope un siècle et demi plus tôt: la microsonde électronique, inventée par J.D, Castaing à l'Universitee d'Orsay. Ce n'était que le premier de toute une série d'instruments, qui nous permettent aujourd'hui de connaitre composition et structure des phases minérales avec une précision et surtout une résolution complètement impossibles à envisager il y a quelques années à peine. Ces instruments arrivent sur le marché à une cadence telle qu'il devient difficile d'en maitriser tous les paramètres. La plupart font appel à des sources de hautes énergies autres que rayons X, en particulier neutrons, électrons et radiation synchroton. En outre, certaines techniques optiques traditionnelles, dans le spectre visible, ont été complètement renouvelées par l'emploi de sources cohérentes (lasers) , utilisées soit pour leurs propriétés mécaniques (formation ponctuelle d'un plasma, ablation de couches superficielles), soit en spectroscopie moléculaire (effet Raman).

Appareils d'analyse à faisceau de particules (électrons, ions, protons)

Le bombardement d'une surface minérale polie par une faisceau d'électron entraine une émission de rayons X secondaires liés à la nature des éléments chimiques constituant le minéral. Il devient possible d'analyser de façon ponctuelle (surface de quelques microns) et non destructive toute phase minérale. des variations de composition extrement fines (exsolution, défaut cristallins), voire insoupçonnable au microscope (zoning) peuvent alors étre mise en évidence. L'appareil peut être optimisé, soit pour l' analyse (microsonde électronique), soit pour l'acquisition d'images à trés fort grossissement (microscopes électroniques à balayage équipés d'un système d'analyse à dispersion d'énergie de type EDS). Les appareils les plus récents sont précis, fortement automatisés, sensibles (limite de détection de l'ordre du ppm pour la plupart des éléments. Toutefois, un certain nombre de paramètres ne peuvent être analysés: degré d'oxydation pour les éléments à valence variable (Fe2+/Fe3+), les isotopes, la plupart des éléments volatils, les éléments plus légers que bore ou beryllium. En outre les électrons ont une trés faible pouvoir de pénétration, ce qui n'autorise que des analyses des surfaces minérales.

Le microscope électronique est connu depuis les années 30, mais ce n'est guère que dans les années 70 qu'il a été appliqué à la minéralogie. Les premières utilisations ont surtout fait appel aux possibilités d'obtenir des grossissement trés supérieurs à ceux du microscope optique. La mise au point de dispositifs analytiques à dispersion d'énergie en a fait des appareils comparables, ou plutôt complémentaires, à la microsonde électronique. L'appareil est optimisé pour l'image dans le cas du microscope électronique, pour l'analyse dans le cas de la microsonde.

Le microscope électronique à balayage (SEM) est grossièrement comparable à un microscope à réflexion. Dans le case du microscope électronique à transmission (TEM), au contraire, les électrons passent au travers de la préparation étudiée, et dans les appareils les plus performants (Microscopie électronique à haute résolution), permettent pratiquement d'accéder jusqu'à la structure atomique du minéral.

Les microscopes électroniques permettent des analyses par diffraction d'électrons, dans le mode ransmission (TEM). Le faisceau d'électrons a une longueur d'onde extrèment petite (<0,03A°), donc un trés grand pouvoir de résolution, mais aussi une forte interaction avec les atomes rencontrés. Les préparations devront donc être extrêment minces (quelques angstrœms), préparées par des techniques trés spécialisées telles que le bombardement ionique. Le TEM est le seul instrument permettant d'obtenir des informations sur la structure minérale à l'échelle de la maille ou même de l'atome, ainsi que sur les défauts cristallins du type dislocation, défaults de stoechiométrie, micromacles, etc. . Il est extrèmement utilisés par les spécialistes de la croissance cristalline ou de la déformation des minéraux, notamment pour étudier le fluage au sein du manteau terrestre.

Un inconvénient majeur des appareils à faisceau d'électrons tient à leur faible pouvoir de pénétration, qui limite leur emploi à l'étude de phénomènes de surface, ou, à la rigueur, de couches trés peu profondes (quelques angstroems). Certains de ces inconvénients sont palliés par l'introduction récente (années 80) des microsondes ioniques, qui utilisent un faisceau d'ions au lieu d'électrons. Le pouvoir de pénétration est beaucoup plus grand, ce qui autorise les analyses au sein même du mineral, et les possibilités théoriques sensiblement plus importantes: possibilité d'analyser les éléments légers (jusqu'à l'hydrogène), et surtout de mesurer in situ les rapports isotopiques (donc d'accéder aux mesures d'age, par exemple sur les zircons). Toutefois, il s'agit d'instruments trés couteux, complexes, d'un maniement difficile, dont la maitrise n'est pas à la portée de tous les laboratoires

La microsonde ionique n'est que le premier exemple de toute une série d'appareils, batis autour de sources de protons. Dans le cas du PIXE ( Proton induced X-Ray emission) ou PIGE (Proton induced gamma-ray emission), le principe est le même que celui de la microsonde électronique, mais le faisceau incident est constitué de protons au lieu d'électrons. Le pouvoir de pénétration est beaucoup plus grand, au moins comparable à celui des microsondes ioniques, l'énergie des particules incidentes connue de façon plus précise en fonction des caractéristiques de la source (en général accélérateur linéaire Van de Graff). Le signal émis (Rayons X dans le cas du PIXE, gamma dans le cas du PIGE) sont analysés par des cristaux, de façon grossièrement comparable à ce qui se passe dans les microsondes électroniques.

On a utilisé ces techniques pour l'analyse des métaux précieux en trace dans les sulfures, ainsi que pour la recherche de certains éléments, tels que le carbone, non décelable à la microsonde électronique (carbone dans les chondrules de certains métórites). La sensibilité est trés bonne , mais le calibrage trés difficile.

 

Méthodes modernes d'analyse minéralogique

Spectroscopie IR et Raman

J. Lecomte et Cl. Duval publient en 1943 les premiers travaux relatifs aux spectres d'absorption IR obtenus sur de la goethite, manganite brucite diaspore et hydrargilite. J. Lecomte construisit par ailleurs le premier spectrographe à enregistrement photographique .Les spectres IR permettent une bonne caractérisation des éléments volatils (OH, groupements CO3--, etc..) contenus dans les structures minérales, et ils sont devenus une méthode essentielle pour l'étude des minéraux trop petits pour être étudiés au microscope optique, notamment dans les roches sédimentaires (minéraux des argiles). Il s'agit de spectroscopie moléculaire, faisant souvent appel à des techniques complexes (Transfrormation de Fourier ) pour l'analyse du signal (déconvolution des spectres= FTIR).

On peut rapprocher de la spectrométrie IR une autre spectrométrie moléculaire, la spectrométrie Raman, qui connait actuellement un grand développement dans certains secteurs bien spécialisés de la minéralogie, notamment gemmologie et étude des inclusions fluides. L'effet Raman, qui correspond à un certain glissement de longueur d'onde d'une radiation lumineuse par interaction moléculaire, est connu depuis les années 30, mais n'a pu être utilisé en minéralogie que lorsque l'on a pu disposer d'une source lumineuse suffisamment puissante et colhérente (laser). Les avantages sont nombreux (analyse rapide et non-destructive sur des échantillons de trés petite taille), mais les analyses ne sont possibles que sur les substantes dites "actives". En sont exclues les composés purement ioniques (e.g; éléments natifs, chlorures), ainsi que les substances fluorescentes, qui masquent l'effet Raman et empèchent toute mesure.

Méthodes d'ablation: Ablation Laser, SIMS

Dans ces techniques, le faisceau de particules ou une radiation laser de puissance suffisante est utilisée pour arracher des ions ou particule de surface et les analyser au spectromètre de masse (SIMS = Secondary Ion Mass Spectrometry). On peut accéder à des éléments particulièrement importants, pour comprendre les échanges géochimiques dans les roches du manteau: Terres rares, isotopes, etc. ou analyser de minces couches en surface, afin de suivre les phénomènes de dissolution et d'altération. L'analyse au spectromètre de masse est particulièrement adaptée à la mesure des rapports isotopiques, donc au mesures d'ages sur échantillon ponctuel (zircons).

 

Minéralogie théorique

La minéralogie a suscité de trés nombreux travaux théoriques, dont beaucoup se rapportent en fait à la physique de l'état solide. Citons deux exemples, ayant trait aux associations de cristaux (macles) et au phénomène d'épitaxie.

 

Les macles

Les macles sont des édifices complexes, résultant de la juxtaposition de plusieurs individus suivant une loi d'orientation bien précise.De nombreux mineralogistes se sont penchés sur leur origine: mécanique , par glissement ou juxtaposition . En 1904, Friedel énonce une loi générale sur le prolongement du réseau périodique au travers des différents cristaux constituant la macle. L'édifice maclé a donc une symétrie inférieure à celle des cristaux isolés, mais tous ont en commun les éléménts de symétrie de la macle.

En 1928, J. Drugman publie des travaux importants concernant les feldspaths, les associations cumulatives de macles dans l'orthose ainsi que les macles de Zinnwald dans les quartz bipyramidés . Ungemach s'est intéesséaux macles du réalgar de Matra en corse, cependant que des études comparables étaient faites sur la blende et panabase de St Etienne de Baigorry. En 1965, Curien et Bondot étendent ce domaine de recherche aux composés chimiques, et ils étudient les macles en rose, genou et en etoile à 3 branches du chromate de potassium artificiel.

En 1970, Dussausoy et Wandji décrivent la macle du disiliciure de fer.

D'autres travaux ont montré comment décrire une macle parfaite par mériédrie réticulaire. A partir de ces données, Waintal et Sivardière ont pu réaliser la notation de macles à l'aide des représentations réelles de dimensions des groupes ponctuels. Cette notation permett d'envisager toutes les formes de macles possibles dans une holoédrie donnée.

 

Epitaxie

L. Royer en 1953 désigne par le terme d'épitaxie, l'orientation d'un cristal qui se dépose sur un mineral d'espèce différente . Cette orientation, conséquence de spécificités communes aux deux cristaux, nécessite deux conditions

1)- l'existence , dans les deux réseaux,d'une maille simple ou multiple presque identique en forme et dimensions

2)- les ions du cristal orienté, remplaçant les ions du cristal support de la croissance, sont tous de mêmes polarités .

En laboratoire, on a ainsi réalisé de nombreux groupements épitaxiques, en constatant que ceux-ci étaient plus faciles sur des cristaux de dureté inférieure à 4 . En 1978, R. Kern publie le résumé de vingt années de travaux , mettant en évidence la nécessité du calcul thermodynamique pour prévoir certains modes de croissance épitaxique .

 

Les rapports ambigus entre la Minéralogie et les autres disciplines des Sciences de la Terre. Le role des Musées de Minéralogie

Dans une certaine mesure, la Minéralogie a été victime de son succès. Elle se trouve aujourd'hui écartelée entre toute une cohorte de disciplines:

Dans presque tous les pays, ces disciplines sont plus puissantes, reconnues et codifiées que la minéralogie, réduite ainsi au role d'outil au service d'un groupe de scientifiques qui, parfois, en ignore l'essentiel. Il n'est que de voir le rhythme auquel se réduit les chaires universitaires de Minéralogie - presque systématiquement transformées en postes de pétrographie ou géochimie, quand elles ne disparaissent pas purement et simplement- pour mesurer l'importance du risque. Car ce risque existe bien: le physicien, qui ne connait que l'échelle de l'atome, le géophysicien, qui ne s'intéresse qu'aux propriétés physiques des minéraux, le géochimiste, souvent incapable de reconnaitre sur le terrain les espèces minérales les plus simples, ne sont pas de véritables minéralogistes. Ils ne connaissent qu'un aspect, parfois déformé jusqu'à la caricature, d'un ensemble complexe qui ne prend toute sa valeur que s'il est appréhendé dans sa totalité.

Reconnaissons que cette évolution est inéluctable: les grands problèmes se posent à l'échelle de notre planéte, et le minéral à lui seul n'est qu'une étape qui ne permet pas d'accéder à l'ensemble. Dans les Sciences de la Terre, la pétrographie ou le géochimie ont à cet égard un avantage décisif, puisque leur objet correspond précisément à cette échelle. Mais il importe qu'elles reconnaissent toute l'importance de la minéralogie, sans mésestimer les difficultés techniques qui font que, bien souvent son enseignement est trés impopulaire auprès des étudiants débutants.

A cet égard, les musées de Minéralogie prennent une importance primordiale. Ils constituent non seulement l'endroit idéal pour conserver l'héritage que nous ont légué les générations précédentes, toutes ces espèces provenant de gisements maintenant disparus, mais c'est aussi la place où la minéralogie systématique doit garder toute son importance, et. pas seulement pour l'aspect esthétique et la valeur muséologique des grandes collections. Certes, c'est cet aspect qui est probablement le plus prisé du public, et il n'est pas question d'en méconnaitre l'importance. Mais les musées doivent aussi être des centres actifs de recherche, assurer les études fondamentales qui disparaissent progressivement des universités. On risque autrement de voir rapidement disparaitre une some de connaissances, un capital d'expertise dont on mesurera l'importance lorsqu'on l'aura perdu.